Elle se voit comme elle est, ce qui est rare, mais elle se voit trop comme elle est, et se retient de rêver au-delà , préférant tourner sur elle-même comme une ballerine en attendant l’imprévu, plutôt que de le provoquer. C’est un peu triste. Elle est un peu triste. Ce creux boisé et mélancolique caché au fond d’une vallée si verte, elle en arrache les mauvaises herbes, le tient vivant. Elle n’ose pas assez profiter des autres et cherche excessivement à ne pas être inconvenante. Elle veut être remarquée mais pas trop non plus, s’emplissant d’un immense désarroi, une tristesse très disproportionnée, si elle apprend que quelqu’un ne l’aime pas. Elle ne se permet plus de croire encore en une vie meilleure, ou juste une autre vie, elle veut se satisfaire absolument de ce qui est, façonnant l’avenir à tout petits coups d’espoirs modestes, pour ne pas être déçue si elle ne l’obtient pas et profiter du plaisir de l’obtenir malgré tout. Se limitant ainsi à ce qu’elle estime “rêvable” et ne se permettant pas d’aller au-delà . L’entretien soigneux d’une envie spartiate de jouir de la vie. A l’abri sous le toit de cette morale par le plaisir immédiat, sous l’égide sans doute d’une philosophie du présent, se protégeant au mieux des déceptions, s’attendant souvent au pire, elle se promène dans sa vie, la regardant comme si elle ne lui appartenait pas tout à fait, à pas de loup, trop consciente de ce que chaque acte pourrait apporter de néfaste, peu encline à se bercer d’illusions et encore moins à essayer de les vivre. Alors elle préfère penser qu’elle est libre des ferveurs et des passions usantes et enfantines, mais tantôt celles-ci lui manquent, parce que la plaine est si lisse et les autoroutes si lassantes parfois. Avec les autres, elle devrait plus en tirer profit, au lieu de cela elle les aide parfois comme une millionnaire coupabe de l’être, portant la vaisselle sale aux cuisines à la place du room service. Par lâcheté ou un peu par paresse, elle vit la passion de celui qu’elle aime, faire battre son coeur à l’unisson de ce qui le fait vibrer lui, elle se dit que c’est de l’amour, alors que c’est un peu aussi, plus égoïstement (mais son égoïsme est tendre comme du beurre sur un croissant un matin d’été sous les oiseaux), une façon de se remplir de passion sans prendre le risque d’en être trop déçue… Pourquoi je l’imagine aussi en petite grand-mère toute sèche, fine comme un filet d’eau dans un endroit abandonné parmi les pierres sous le soleil, mais elle y cusinera de bons gros cakes humides, juteux de fraîcheurs: elle les aura préparé avec les meilleurs ingrédients et les distribuera avec toute l’immensité de son coeur, même aux inconnus, garnissant son visage de ce timide sourire qui en dit si peu mais qui, à celui ayant eu la chance de connaître sa joie franche et piquante, en révèle tant. Sophia entretient en secret ce besoin d’échapper à ce trop plein d’elle-même, comme si elle disparaissait souvent quelque part d’innatteignable, enfermée dans une minuscule prison, tendant son visage vers l’espoir et se permettant une larme au passage d’un oiseau solitaire. Donc elle peut être dure, glaciale, mais avec elle-même essentiellement, parce qu’elle en bave parfois, seule dans cette minuscule prison. En silence. Et même elle réussit à sourire alors qu’elle pleurt. Observant depuis l’abri de mon train les constructions folles et vaporeuses des nuages caracolant sur les murailles des montagnes, j’aurais envie de lui chuchoter qu’elle se laisse aller en-dehors d’elle-même. De sauter par la fenêtre plusieurs fois par jour. Inconsistante, incohérente, mais éclatante. Sautillant à pieds joints sur les autres surpris, en oubliant les conséquences et surtout en n’ayant aucune conscience d’elle-même. S’oublier. Avoir foi en l’univers, même si ce qui y souffle est lâche et violent et insensé et impitoyable, rire de l’éventualité de cataclysmes intimes, avoir foi en tous ces mirages qui traînent, nombreux, là -dehors, et les étreindre rigolant quand ils filent en lambeaux d’illusions.
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Ce texte n’engage que son auteur et ne prétend en rien être exhaustif ou représentatif de quiconque. Il s’agit d’un instantané subjectif, d’une représentation parcellaire et momentanée, ayant pour but l’esquisse littéraire d’un personnage fictif autour d’une personne existante. En aucun cas ce texte n’a pour prétention ou objectif le viol de la vie privée ou la description unilatérale d’une personne existante. A considérer avec précautions, tel un tabloïde de seconde catégorie.
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