Il n’y a personne qui ose entrer dans cette grotte. Souvent ils tournent autour de mon trou, mais sans réel intérêt ou véritable envie. Ils ont peur. Sauf elle. Parfois je me retourne à l’improviste et mon regard difforme, monstrueux, cette chose obscure qui me sert d’observatoire sur le monde, tombe sur elle. Je me rappelle, à une époque, dans cette posture attentive, quand le monde s’efface totalement autour d’elle, ses doigts tournaient dans ses cheveux. Cette manière de ne plus exister soudainement, les immeubles s’effondrent autour d’elle, tout tombe en miettes et les rues s’évaporent dans des nuages de poussière où seule elle se tient, au sommet d’une improbable éminence, en train par exemple, de lire un article. J’aime cette possibilité de disparition totale que son regard absolu me suggère si souvent. Elle a cette manière d’observer le monde comme un phare frappé par des vagues de néant. Elle n’a pas de limites, elle a décidé une fois de ne plus se donner de limites. Et si dans un sens elle est ainsi comme une nonne acceptant tout de ce qui vient sur elle du monde extérieur, sans même la force de pouvoir le refuser, dans un autre sens cela lui permet de tout comprendre et de tout accepter. Et si ce phare s’arrête sur toi, sois sûr qu’à un moment tu baisseras les yeux, de peur d’aller trop loin en sa compagnie, de peur d’atteindre trop vite en face d’elle tes propres limites. De ce fait, sa relation avec les autres est souvent une forme d’expérimentation intime. Il faut savoir aller loin pour qu’elle reste intéressée par toi. Il faut savoir aller trop loin pour toi, parce qu’elle te tiendra la main l’air de rien et ensuite elle te jetera dans les vagues, là où tu n’as plus fond. Sans cesse, elle a conscience de sa présence et de son acte, mais elle a trouvé une issue à cet enchaînement: plonger dans l’acte. Quel qu’il soit, plonger dedans. Et du fond de ma grotte j’ai la surprise de sa lumière, toujours insistante, et toujours inextinguible, où je la vois briller comme une fée toute-puissante qui n’aurait pas le droit d’être là , de la courbe de sa nuque fragile, vaguement illuminée, à la pointe de son épaule, iridescente le long du bras fin comme une branche avant l’hiver, et son corps entier se révèle dans l’obscurité, cisaillant un instant l’air, les muscles fins, les arêtes translucides, et pourtant ses courbes se déhanchent comme une esquisse au fusain. Déondulant comme un noir désir. Elle est faite pour cette époque, pour cette histoire, pour cet instant, dansant sur un char techno, chacun de ses regards vers la foule serait un geste, un mouvement, une grâce, un exemple et une offrande pour la femme du 21ème siècle. Mais elle n’est pas là . Elle est juste dans ma grotte. Comme elle le disait il n’y a pas longtemps, dans un de ces moments où plus rien n’a aucun sens et où elle se retrouve, pantoise, au bout d’une longue suite d’instants dans lesquels elle s’est immergée, je suis son point final. La frontière au-delà de laquelle toute liberté sera associée à un manque, au vide, et à l’échec. Pourquoi? Parce qu’elle est ce phare, et sa lumière observe la vague immense à l’horizon qui un jour, inévitablement, la submergera et l’effacera, et m’inondera, et m’engloutira aussi. Nos enfants. Et les enfants de nos enfants. Et le temps qui passe. Je suis la fin de son amour et elle est la fin du mien, et quoi qu’il advienne mon amour pour elle ainsi survivra.
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Ce texte n’engage que son auteur et ne prétend en rien être exhaustif ou représentatif de quiconque. Il s’agit d’un instantané subjectif, d’une représentation parcellaire et momentanée, ayant pour but l’esquisse littéraire d’un personnage fictif autour d’une personne existante. En aucun cas ce texte n’a pour prétention ou objectif le viol de la vie privée ou la description unilatérale d’une personne existante. A considérer avec précautions, tel un tabloïde de seconde catégorie.
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