La pensée de l’arbre

Assis sur le perron au soleil couchant J’imagine ce tilleul majestueux en-haut de la colline Près de chez nous Je le planterais de mes propres mains Ma fille m’aiderait à le planter en gloussant Et nous regarderions à nos pieds La tige fine et ses quelques frêles feuilles Promettre de grimper vers le ciel. Là-haut il grandirait, il verrait les années Il verrait les décennies Il s’épanouirait sous les saisons Ses branches de plus en plus larges Son ramage de plus en plus fin se découperait sur le ciel Sous les étoiles sa silhouette immense regarderait le temps. Quand ma petit-fille viendrait déposer un bouquet A ses pieds, près de ma tombe, près de celle de ma femme, Ma fille lui prendrait la main et lui parlerait de moi Et ma petit-fille lui poserait des questions Elle observerait le tilleul de loin L’arbre immense lui répondrait qu’il verra aussi Les enfants de ses enfants. Ma fille maintenant grand-mère S’agenouillerait près des racines Un jour d’été au soleil couchant Elle embrasserait l’écorce en pensant à son mari Elle s’éteindrait là, entre les bras du tilleul. Et l’automne suivant des feuilles de toutes les couleurs Nous recouvriraient tous ensemble, avant la neige. Et les enfants de mes enfants raconteraient des histoires Près de l’arbre, danseraient autour en hiver, Feraient des feux les nuits d’été, Ils riraient du temps et de sa noblesse. Assis sur mon perron, J’imagine tout cela. J’imagine comme ce serait bon Comme ce serait beau. Le temps, la vie, la mort. Je me lève pour rentrer. Dois-je le planter, ce tilleul? Je ne le planterai pas. J’ai déjà vu tout ce qu’il y avait à voir. Ainsi, moi qui vois tout, je n’agis plus.

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