Ce lieu où je vis maintenant est une œuvre d’art. Enfin, j’essaie d’en faire une œuvre d’art. Je le peuple d’objets, de meubles, de babioles, de décors, de plantes, je le transforme petit à petit. La plupart de ces objets, je ne les utilise même pas. Ils ont tous une fonction, car j’ai de la peine avec ce qui n’a pas de fonction, mais ils sont placés comme pour une mise en scène un peu vide. Les chaises sur les terrasses sont toujours vides, le canapé je n’y vais presque jamais. Mon espace propre est limité à quelques mètres carrés entre le lit et la cuisine. Le reste est une mise en scène, une construction de mon esprit pour former un espace.
L’architecte, plus que le metteur en scène, le peintre, le sculpteur ou le chorégraphe, est constamment plongé dans la création de l’espace, de son lieu de vie, dans la rue, dans la ville, dans le voyage, l’univers construit des hommes se déroule devant lui et à tout moment il en perçoit l’organisation intime qui fait que tous ces gens bougent dans cette direction, vont et viennent dans un certain sens : l’avenue, la rue, l’entrée. Ils se penchent de l’intérieur vers l’extérieur : le percement. Ils montent et descendent : la cage d’escalier. Ils empruntent un chemin de chaille : le parc. Et à chaque espace il y a une fonction, et ils vivent dans cet ensemble de fonctions dont seul l’architecte perçoit en permanence l’essence sous-jacente.
La nuit, tout s’illumine d’une façon bien calculée, chez moi, et puis sur les terrasses, et puis dans la ville, pour satisfaire l’objectif de la fonction et pour remplir l’obscurité de cette vie des hommes.
Le jour, les ombres jouent entre les murs, glissent entre des arbres plantés, le soleil plonge dans la faille d’une venelle, rebondit dans une fontaine, et toute l’harmonie du monde construit se déploie doucement ou violemment, dans la réalité humaine passagère.
Et je me demande si tout cela ne va pas plus loin. Si nous sommes les passagers de toute la Terre que nous construisons, que nous organisons, que nous règlementons. Vaisseau provisoire nous portant autour du Soleil dans une course mystérieuse qu’un jour nous romprons aussi pour avancer encore plus loin l’ordre de notre existence dans l’entropie du cosmos. Nous sommes venus mettre de l’ordre et composer un sens dans le chaos.
Juché au sommet de la ville, mon lieu de vie, colline de béton couronnée de plantes, Summerhill. Lieu transitoire, passager, que je peuple et harmonise, illuminé de soleil d’Est en Ouest : j’y serai le temps qu’il faut, avant de m’envoler.
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