Le coup est parti en même temps que l’arme lui a glissé de la main. Le crâne d’une Dormeuse au sol a éclaté. Alerté, un autre officier a saisi son fusil-mitrailleur appuyé contre le tableau de bord mais il a glissé sur le sang étalé par l’explosion du crâne, et son arme formant un arc de cercle dans sa chute a crépité et arrosé la cabine. L’un des soldats à mes côté a été touché à la joue et des bouts de chair rose ont aspergé mon épaule. Ces petits bouts de viande entremêlés à la laine rêche de mon manteau, que j’ai épousseté par réflexe telles des miettes de pain, alors que la moitié de mon visage était engluée du sang du jeune architecte hurlant, sautillant sur place, et que le capitaine touché en pleine poitrine s’envolait en arrière à cause du choc de la balle, mort sur le coup.
Les hurlements de la femme qui le branlait ont commencé comme un râle qui lentement a envahi toute la passerelle de commandement telle une alerte générale. La cocaïne a fait le reste.
Le jeune mâchoire carrée a aboyé un ordre.
« Grambl, tuez-les, berrgsi, tous, t’ain d’dormeurs! »
Par je ne sais quel miracle militaire les sous-officiers se sont jetés sur leurs armes et l’un d’eux a enclenché l’alarme générale. Croyant être attaqués, les coups de feu sont d’abord partis dans toutes les directions du brouillard par les officiers ivres oscillant sur le pont, puis tous les militaires du navire ont chargé leurs armes pendant que les hauts-parleurs diffusaient des beuglements d’ordres:
« Les Dormeurs se réveillent! Tuez-le tous! Descendez-les touuuuus! Ils se réveillent! Tooooooous! »
Plutôt que de me jeter dehors où tout sifflait – un marin actionnait sans cesse la sirène, un sous-officier stone hurlait des insanités dans le mirco alors que les balles fusaient partout, s’enfonçant dans les carlingues, décimant la foule ahurie et les manteaux hagards qui se percutaient ne sachant où fuir, j’ai tenté ma chance vers une porte latérale. Il n’y avait personne dans le quartier des officiers et j’en ai profité pour me défaire de mon manteau dans une cabine. Sur la table, j’ai reconnu le portrait du capitaine dont la poitrine venait d’exploser, sa femme 20 ans plus jeunes dans un bras, et trois enfants hyperactifs qu’on avait eu toutes les peines à maintenir dix secondes dans le cadre de l’image. Dans une armoire j’ai déniché un veston blanc bardé de décorations que j’ai enfilé en tremblant. On entendait maintenant les hurlements et les rafales des fusils-mitrailleurs à l’intérieur du navire.
A côté du portrait, une page maculée de vin et de restes de coke avait été laissée en évidence: « Ordre de Mission ». « Destination: Lausanne – Suisse ». « Abandonner les containers sur les berges et repartir immédiatement. Des mutations ont eu lieu. Danger. Zone de contamination: Suisse sud, Italie Alpes, France Jura. »
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